Le plan-guide, outil de gestion de projet urbain, est de plus en plus souvent utilisé par les maîtres d’œuvre et les cabinets d’urbanisme, bien qu’il soit encore relativement peu connu du grand public. En quoi ce document, qui s’impose petit à petit, se différencie-t-il du reste de la panoplie des professionnels de l’aménagement du territoire ?

Couverture de l’ouvrage Le Plan-Guide (suites), Alexandre Chemetoff, Archibooks (2010)

Un projet urbain est par essence un projet qui s’inscrit dans un temps long, de sa conception à sa réalisation.

Objet mouvant, il est conçu entre différentes parties durant plusieurs mois, années le plus souvent, période pendant laquelle le projet peut changer de mains et parfois d’orientation. Des documentations et supports s’amoncèlent alors, et il devient difficile de distinguer les documents obsolètes des supports pertinents. En fonction de la nature de certains documents, certains s’avèrent accessibles pour certaines parties prenantes mais complétement opaques pour d’autres, en fonction de l’équipe à l’origine du document ou de sa finalité. Pour se forger une vision globale du projet, il faudra prendre connaissance d’une multiplicité de documentations abordant ici une spécificité du projet, là une autre. En bref, en plus de ne pas proposer de porte d’entrée unique dans l’univers du projet, les supports (et leurs différentes versions !) peuvent manquer de cohérence, en plus de n’être rapidement plus à jour. Tout ceci, in fine, peut freiner son appropriation et sa continuité.

Un des enjeux des projets urbains réside donc dans la transmission correcte des informations en parvenant à trouver l’équilibre entre genèse et l’état de l’art du projet à date.

Graver dans le marbre… mais pas trop : un document de référence souple et complet

Ce sont à ces problèmes que le plan-guide tente de répondre. Utilisé pour la première fois à la fin des années 1990 dans le cadre du renouvellement urbain de l’Ile de Nantes et mis au point par Alexandre Chemetoff, il s’agit d’un outil évolutif à destination de toutes les parties prenantes du projet. Evolutif car il a vocation à être amendé, modifié et complété au fur et à mesure du projet. Cette caractéristique peut sembler être une évidence pour qui s’est déjà frotté à la réalité des projets urbains de long terme, où il est parfois complexe de trouver l’équilibre entre la précision de la volonté politique et le flou ou l’incertitude qui entourent parfois certains aspects des projets au long cours. Pourtant, elle se conjugue difficilement avec la nécessité de coucher sur le papier le savoir de nombreux corps de métiers pour mieux l’appréhender, conceptualiser des solutions et transmettre ces informations. Avec le plan-guide, le problème ne se pose pas : plusieurs versions du document sont amenées à voir le jour durant la vie du projet, construisant sur les anciennes à la façon d’un palimpseste.

Couverture du plan-guide de la ville de Toulouse (version 2019), crédits photo : ©Toulouse Métropole, ©P.Nin

De l’art de résumer un projet en quelques traits

Concrètement, le plan-guide prend la forme d’un dossier papier (ayant souvent vocation à être imprimé) et se compose majoritairement de plans et de maquettes entrecoupés de textes explicatifs. Ces visuels mettent en miroir le territoire au début du projet, l’existant, et ses futurs possibles, les scénarii de développement. Le même niveau de détails est apporté à ces deux séquences, rendant l’outil autoportant et complet. De même, les différentes échelles d’action sont souvent représentées en parallèle afin d’avoir une vision globale et synoptique du projet. Le plan-guide de la ville de Toulouse propose par exemple de traiter chaque thème sur trois échelles de territoire, surimposées ensuite sur le même plan en conclusion de chaque axe. Pas besoin de faire un choix entre fort niveau d’abstraction (qui s’adaptera globalement à toutes les situations, mais nécessitera d’être précisé pour chaque cas spécifique) et état des lieux précis (qui manquera de cohérence à l’échelle supérieure). C’est pourquoi il est décrit dans le dossier de création de ZAC de l’Île de Nantes comme un outil servant à « guider l’action à court-terme, dans le cadre d’une vision de territoire à long-terme ».

Extrait du plan-guide de la ville de Toulouse (2019), crédits plans et schémas : ©aua/T

Un nouvel outil de gouvernance

Il semble ainsi que depuis 20 ans, le plan-guide se taille peu à peu une place de choix dans la boîte à outil des maîtres d’œuvre et des urbanistes. Ils sont de plus nombreux à voir le jour pour des projets de tailles différentes (du quartier avec l’Aéroparc de Bordeaux aux métropoles avec Toulouse), donnant lieu à des documents de styles différents, du très technique avec Caen Presqu’Ile ou l’Ile de Nantes au plus design et moderne avec Paris la Défense. Aujourd’hui, on peut même le retrouver dans des domaines sortant du cadre des projets urbains, comme le plan-guide « Arts et aménagement des territoires » produit par le Pôle des Arts Urbains, qui recense les pratiques émergentes et innovations dans le domaine artistique et territorial. Cet engouement fait partie d’une dynamique plus large de développement du concept de gouvernance par l’outil, visant à insuffler plus d’objectivité et de représentativité dans la prise de décision (comme théorisé par Lascoumes et Le Galès, pour les plus scolaires d’entre nous). À ce nouveau paradigme, qui influence aujourd’hui toutes les sphères des politiques publiques, s’ajoute le développement des approches de co-construction et itératives, portées dans le domaine de l’aménagement du territoire par des concepts comme l’urbanisme négocié. Le projet des Bassins à flot, à Bordeaux, a notamment été parmi les premiers projets urbains français menés à l’aide d’un plan-guide et suivant les principes de cette nouvelle vision de l’urbanisme.

En résumé

En résumé pour un plan-guide réussi, il vous faudra donc : un diagnostic de territoire poussé et multithématique, une organisation et une classification claire et intuitive laissant de la place pour de futurs ajouts et un processus de création réunissant un large panel de parties prenantes. Après cela, plus de règles : il existe autant d’approches de l’outil que de plan-guides, qui vont de quelques dizaines de pages à plusieurs centaines. Peut-être plus qu’un outil, le plan-guide est une nouvelle manière d’imaginer les documents directeurs et de construire des supports d’information, comme des objets évolutifs. Ainsi, les années à venir verront peut-être ce type de document devenir un incontournable de la gestion de projet partagée, ou se faire remplacer petit à petit par d’autres approches moins programmatiques. Quoi qu’il en soit, il reste toujours intéressant de remettre ses manières de travailler en question, et fascinant d’observer l’inventivité de certains dans des domaines qui peuvent parfois sembler très codifiés.