Depuis une dizaine d’année, le vélo bénéficie d’une dynamique favorable dans la majorité des grandes métropoles françaises, où son utilisation a globalement progressé de + 10 à + 15 % par an. Les grèves du transport public de décembre 2019, la campagne des municipales, puis la crise sanitaire du COVID-19 ont confirmé l’engouement des citadins pour ce mode de déplacement, qui apparait comme le grand gagnant de l’après-confinement (+ 34 % de progression en milieu urbain d’après les derniers chiffres de l’Observatoire Vélo & Territoires).
Au point qu’il est à présent victime de son succès, puisque les rayons des principales enseignes ont été dévalisés, et que les nouveaux acheteurs doivent aujourd’hui faire face à une pénurie de vélos neufs et de pièces détachées. Mais une question plus grave commence à préoccuper les pouvoirs publics comme les usagers : où va-t-on pouvoir garer tous ces vélos ? Et comment va-t-on pouvoir le faire sans risquer le vol ? Et si la pénurie de vélos devrait pouvoir être résolue en quelques mois, celle du stationnement sera malheureusement plus compliquée et plus longue à traiter. Nous sommes convaincus qu’elle représente pourtant un enjeu majeur, et voici pourquoi.
Un cycliste sur deux s’est déjà fait voler son vélo
Chaque année, en France, entre 300 000 et 400 000 ménages déclarent avoir été victimes d’un vol ou d’une tentative de vol (soit plus de 1000 vélos par jour), selon les chiffres de l’Insee. Mais c’est en réalité bien plus (au moins le double) car tous les vols ne se traduisent pas par une plainte.
Confirmant d’autres statistiques sur le sujet, une enquête réalisée en 2019 par Nova7 auprès d’un échantillon de 2600 personnes sur la Métropole de Lyon révélait que 49 % des cyclistes ont déjà été victimes d’un vol de vélo (dont 43 % plusieurs fois). 42 % d’entre-eux ont porté plainte.
Ce fléau est un frein à la pratique à plus d’un titre. Non seulement il dissuade les victimes de vol de continuer à utiliser le vélo (25 % abandonneraient le vélo après un vol), mais il a des impacts sur les comportements : d’après la même étude Nova7, 60 % des cyclistes évitent de faire certains trajets à vélo du fait des risques de vol et 59 % ont renoncé à acheter un vélo plus performant. Ce risque est particulièrement dissuasif pour ceux qui voudraient s’équiper de vélos à assistance électrique (VAE), particulièrement prisés par ceux qui étaient jusqu’ici réfractaires au vélo. Leur potentiel de développement en France est pourtant considérable : il a été encouragé par la mise en place de primes à l’achat qui ont connu un grand succès ces derniers mois. D’après l’observatoire 2020 de l’Union Sport & Cycle, le VAE représentait en 2019 plus de 15 % des ventes en volume. Les prévisions estiment que ce taux de pénétration pourrait rapidement atteindre 30 à 40 % du marché, soit de l’ordre de 1 000 000 d’unités par an.
Nous craignons cependant que cet élan finisse par se heurter à l’insuffisance de stationnements sécurisés : dans la rue, dans l’habitat collectif, sur les lieux de travail ou d’études, dans les gares, etc.
Le stationnement des vélos, un angle mort des politiques cyclables
Pour répondre à l’augmentation des déplacements à vélo lors du déconfinement, un peu moins de 3 000 places de stationnement temporaires ont été déployées, alors que des milliers de kilomètres d’aménagements transitoires ont été mis en œuvre. Une goutte d’eau par rapport au besoin réel, de stationnement sécurisé notamment. L’étude « Impact économique et potentiel de développement des usages du vélo en France » publiée en avril 2020 par l’ADEME, évalue le besoin entre trois et vingt millions de places supplémentaires sécurisées à créer. A l’échelle de la seule métropole de Lyon, l’étude SYSTRA/Nova7 estimait le besoin à +250 000 emplacements d’ici 2030, soit un effort de + 25 000 places par an pour tout juste atteindre les objectifs de développement du vélo portés par le Plan de Déplacement Urbain (8 % de part modale vélo à l’horizon 2030).
Jusqu’à aujourd’hui, la problématique du stationnement des vélos est restée le parent pauvre des politiques cyclables, dont les ambitions restent encore souvent focalisées sur les seules infrastructures. Peu outillé et documenté, le stationnement des vélos est traité comme un sujet annexe avec comme réponse universelle des campagnes annuelles de poses d’arceaux sur voirie et l’équipement progressif des lieux d’intermodalité structurants. Les objectifs chiffrés reposent rarement sur un travail d’analyse précis des besoins, les données étant quasi inexistantes. Les attentes des cyclistes selon les cas d’usages sont rarement prises en compte. Et il n’existe souvent aucun élément permettant d’objectiver la satisfaction des besoins actuels, et encore moins l’anticipation des besoins à venir.
Plaidoyer pour des schémas directeurs du stationnement des vélos
Pour combler le retard pris en la matière et satisfaire ce levier essentiel au développement de la pratique du vélo, il apparait indispensable de doter les collectivités d’une vision des besoins et attentes des usagers – actuels et futurs – ainsi que d’un plan d’actions ambitieux pour satisfaire cette demande.
A la lumière de l’expérience que nous avons menée sur le territoire de la Métropole de Lyon, il nous semble indispensable que les politiques publiques, et en particulier celles des grandes métropoles, puissent se doter d’une vision qualifiée (quelles solutions ?) et quantifiée (combien ? où ça ?) de l’offre de stationnement vélo à déployer. Cette vision doit être légitimée par des enquêtes rigoureuses pour pouvoir être partagée avec tous les acteurs impliqués. Un travail complémentaire d’animation est indispensable tant le sujet du stationnement vélo fait appel à une diversité d’acteurs : les différentes collectivités imbriquées sur le même territoire, mais aussi les associations d’usagers, les employeurs, les établissements scolaires, les opérateurs de transports urbains et interurbains, les gestionnaires de lieux accueillant du public, etc..
Portée par le Service Déplacements en charge de la réflexion prospective sur les aménagements et infrastructures de transport du territoire, l’élaboration du Schéma Directeur du Stationnement Vélo de la Métropole de Lyon s’est appuyée sur la compréhension et la mesure des besoins des usagers (observations et comptages, focus groups, pré-tests pour mesurer l’intérêt de différentes solutions), sur un benchmark international des solutions mises en œuvre par les territoires exemplaires en France et à l’international, sans oublier la consultation des associations d’usagers (la FUB a en particulier formalisé de nombreuses recommandations sur le sujet). Ces travaux ont permis au nouvel exécutif de la Métropole de s’engager sur de premiers objectifs ambitieux : 60 000 arceaux d’ici la fin du mandat, multiplier par deux l’offre de stationnement vélos sécurisés dans les parcs souterrains et expérimenter le déploiement de boxes sur voirie.
Accélérer le déploiement de solutions adaptées aux différents besoins
Cette approche nécessite d’aborder dans le détail les différentes situations d’usages, qui appellent chacune des réponses spécifiques. Les besoins des cyclistes sont en effet très différents s’ils doivent se garer dans la rue pour une course rapide, sur leur lieu de travail ou d’études pendant plusieurs heures la journée, à domicile pendant la nuit ou dans une gare pour prendre le train…
Au-delà du constat logique des attentes de sécurisation qui augmentent avec la durée du stationnement (et avec elle l’acceptabilité de contraintes pour accéder à ce stationnement, qu’il s’agisse de la distance à parcourir ou du prix à payer), nous avons acquis la conviction que les besoins sont considérables partout. Les revendications les plus fréquentes des usagers portaient jusqu’à présent sur le manque d’arceaux dans les centres-villes et sur l’absence généralisée de stationnement sécurisé dans les gares (à comparer avec les parkings vélos, souvent spectaculaires, de nos voisins du Nord de l’Europe), mais on voit poindre depuis la sortie du confinement des tensions de plus en plus fortes sur le stationnement à domicile : beaucoup d’immeubles n’en disposent pas (contraignant les habitants soit à renoncer à l’achat d’un vélo, soit à le garer dans leur appartement, les parties communes, leur balcons, etc.) et ceux qui en disposent (avec des équipements rarement adaptés : rappelons que 40 à 50 % des vols de vélos ont lieu à domicile) sont de plus en plus saturés. Les règles d’urbanisme imposent bien des normes pour les constructions neuves mais aucune obligation pour le bâti ancien ne permet d’imposer un quota de stationnements vélos. Quant aux équipements déployés dans les établissements d’enseignement, ils sont rarement sécurisés et adaptés, souvent en nombre insuffisant. Il en est enfin de même sur le lieu de travail où les employés sont confrontés aux mêmes difficultés, exacerbées dans certains secteurs de centre-ville. Les entreprises se heurtent aussi à l’immobilisme des régies immobilières.
Face à ce constat d’un déficit important de l’offre sécurisée de stationnement et d’une diversité des besoins à couvrir, il n’y a pas de réponse unique mais un arsenal de solutions, de mesures et d’équipements différents que les collectivités vont devoir déployer rapidement : aides financières, boxes sur voirie, équipements des parkings souterrains, utilisation de rez-de-chaussée, gardiennage, etc.
Lever les contraintes
Le déploiement de mesures se heurte à plusieurs difficultés au premier rang desquelles la méconnaissance des besoins et de l’occupation des arceaux en voirie qui doit être compensée par des enquêtes. Par ailleurs, la tension qui pèse sur le partage de l’espace public dans les secteurs denses, exacerbée par l’arrivée des flottes en free floating, ou encore les difficultés d’insertion et d’acceptation de solutions sécurisés sur voirie (box par exemple) dans les centres historiques et à proximité de sites classés constituent autant de freins à l’action publique. La diversification de la flotte complexifie par ailleurs les réponses à apporter avec l’essor des vélos cargos, rallongés, remorques et autres équipements qui nécessitent des stationnements ou services spécifiques.
Les contraintes sont également intrinsèques à la gouvernance éclatée du stationnement avec une compétence partagée entre trop d’acteurs : les Métropoles qui gèrent l’espace public, communes qui conservent qui, dans la plupart des cas, ont conservé le pouvoir de police et de stationnement, les autorités organisatrices de la mobilité gèrent quant à elles l’équipement des lieux intermodaux. Les acteurs privés, l’implantation dans leur enceinte (entreprises, équipements, etc.).
Enfin, la lutte contre le vol de vélo doit s’intensifier et s’institutionnaliser. La Loi d’Orientation des Mobilités prévoit l’identification obligatoire de tous les vélos neufs à partir du 1er janvier 2021 et création d’un registre national des cycles.
Plaidoyer pour gestion unifiée du stationnement tous modes
Le stationnement sécurisé vélo est un levier stratégique pour atteindre des objectifs ambitieux de développement de l’usage du vélo, mais aussi de baisse du trafic automobile dans les grandes agglomérations. Sans celui-ci, il sera difficile de convertir de nouveaux usagers et ne pas décourager les cyclistes actuels par crainte du vol. Le renchérissement du prix des vélos, en particulier les vélos à assistance électrique (prix moyen de 1 750€) est un facteur amplifiant ce besoin.
L’éclatement des compétences et la multitude des acteurs concernés, privés et publics, ne doit pas être un obstacle. Les autorités organisatrices de la mobilité doivent saisir l’opportunité de devenir le chef de file du stationnement vélo en assurant la coordination des acteurs au sein d’une instance de coordination des politiques de stationnement.
Enfin, l’enjeu du stationnement des vélos est étroitement lié à la question de la place de l’automobile en ville. Non seulement parce la place libérée par la voiture profite au stationnement vélos (une voiture occupant l’équivalent d’une dizaine d’emplacements vélo) mais aussi parce que les excédents financiers du stationnement automobile pourraient aider à financer un déficit d’exploitation des services de stationnement vélo. Le stationnement des vélos ne bénéficie pas à ce jour de modèle économique, alors que le stationnement automobile peut permettre de dégager des marges excédentaires. L’équilibre financier peut se trouver via la mise en œuvre de services (réparation, etc.) mais le consentement à payer le stationnement sécurisé chez les cyclistes plafonne autour de 60€ à 100€/an. Les autorités ont donc intérêt à maintenir des prix attractifs dans un premier temps pour convaincre les nouveaux usagers. Ce constat plaide donc en faveur d’une gestion mutualisée du stationnement tous modes par une autorité et un contrat unique afin de servir les ambitions de report modal.
Contributeurs :
Jean-Pierre FOREST, chargé de mission à la Métropole de Lyon
Julien CASALS, directeur associé de Nova7
Guillaume FICAT-ANDRIEU, responsable d’études à SYSTRA