Le 7 juin 2024, la Maison des Communicants à Paris a accueilli une scène ouverte sur le thème « Grands projets et publics hypersensibles : des scénarios pour gagner les nouvelles batailles de l’opinion ». Cet événement, organisé par L’Association nationale des communicants et animé par François Chevalier, Président de Start Cities, a rassemblé plusieurs experts pour discuter des défis que doivent relever les professionnels de la communication publique face à des oppositions de plus en plus fortes.

Dans un contexte de tensions, de nouveaux espaces de débat à considérer

Ces dernières années ont vu émerger un durcissement notable des oppositions aux grands projets. Au cours d’un état des lieux dressé en début de conférence, plusieurs projets ont été cités, à l’instar de projets ferroviaires tels que la liaison Lyon-Turin ou de la LGV Bordeaux-Toulouse. Mais au-delà des grands projets de mobilité, d’autres sujets à enjeux ont émergé, démultipliant les secteurs à débats. En 2022, la lutte contre les réservoirs d’eau artificiels “les mégabassines” a suscité de vives tensions, révélant un contexte d’opposition virulent et organisé. La convergence entre militants politiques, associations classiques et nouveaux mouvements activistes a exacerbé les tensions. La dynamique de réindustrialisation initiée il y a quelques années a là encore fait naître de nouvelles occasions pour débattre, et là encore, fait émerger de nouveaux terrains et de nouvelles modalités d’expression qu’il s’agit d’appréhender.

Dans ce contexte, les plateformes numériques ont vu leur rôle évoluer. Sur LinkedIn par exemple, les tribunes se sont multipliées et ont progressivement remplacé les discussions professionnelles. Devenu un véritable terrain de débat, des leaders d’opinion ont émergé et ont ont joué un rôle dans la structuration des mobilisations. Parallèlement, des plateformes comme TikTok, avec leurs algorithmes basés sur la viralité, sont devenues des outils puissants pour les jeunes militants.

Intégrer ces espaces dans une stratégie de communication apparait donc comme un préalable essentiel, à commencer par la mise en place d’une méthodologie de veille adaptée. Il s’agit en effet de veiller, sur ces plateformes, les prises de parole qui pourraient concerner les projets que nous accompagnons. Mais il s’agit également de veiller, plus généralement, les tendances de fond sociétales en identifiant ces grands leaders d’opinion et en captant leurs expressions.

Réponses innovantes : les exemples du Grand Paris Express et du Canal Seine Nord Europe

Pour naviguer dans ce paysage de plus en plus complexe, certains projets ont adopté des stratégies de communication et de concertation exemplaires que la conférence a mis en valeur.

La Société des Grands Projets alors Société du Grand Paris (SGP) en est un parfait exemple. Dès le débat public relatif au réseau de transport public du Grand Paris de 2011, la SGP a fait le choix de mettre en place une concertation continue avec les élus et les services, organisant des comités de pilotage réguliers et des réunions publiques fréquentes pour maintenir un lien direct avec les parties prenantes. Cette régularité et cette transparence ont permis de renforcer la confiance et l’adhésion autour du projet. Un schéma directeur de communication, définissant les objectifs, les publics cibles et les enjeux, a été élaboré pour guider l’ensemble de la réalisation du projet.

Un autre exemple frappant est celui du Canal Seine Nord Europe, un projet ambitieux de 5 milliards d’euros visant à relier la France à l’Europe des canaux et des rivières sur 100 km, financé à 50 % par l’UE, l’État et les collectivités territoriales. Les aspects environnementaux, tels que la gestion des terres, la biodiversité et les mesures de compensation, ont été traités comme des éléments clés du projet. L’ancrage territorial de la communication a également été un élément central de la stratégie adoptée. Des délégués territoriaux ont ainsi été déployés le long du tracé pour rencontrer régulièrement les communautés locales, expliquer les bénéfices du projet et répondre aux préoccupations. Cette présence constante sur le terrain, avec des interactions directes sur les marchés et dans les communes, a permis d’aider à faire comprendre le projet et obtenir le consensus.

Pour inscrire le projet dans une ambition plus globale, un message fort a été diffusé : « Les Hauts-de-France reprennent en main leur destin ». Le projet a ainsi été présenté comme une opportunité, pour une région autrefois en difficulté, de s’ouvrir à une nouvelle ère de développement économique et écologique. En positionnant le canal comme une « ligne de vie » et un « nouvel emblème » pour la région, les porteurs du projet ont réussi à mobiliser les forces vives des Hauts-de-France et à convaincre les sceptiques de son utilité. De plus, concernant les aspects écologiques et économiques, des preuves scientifiques solides ont été fournies. Les bénéfices environnementaux, tels que la réduction de l’utilisation des camions grâce aux transports propres, étaient par exemple un argument de taille mis en avant pour valoriser le projet.

 De nouvelles tactiques pour répondre à de nouveaux défis

Pour les porteurs de projets, il est devenu essentiel d’adopter une approche plus affirmée. Communiquer clairement sur l’utilité et l’acceptabilité des projets, en s’appuyant sur des informations vérifiées, est crucial. Les sujets environnementaux, souvent à l’origine des conflits, doivent être traités de manière intégrée et transparente. Une communication de proximité intensifiée, même en périodes creuses, et la construction de réseaux d’alliés sont plus que jamais indispensables.

Les défis de communication auxquels sont confrontés les grands projets aujourd’hui sont multiples et de plus en plus complexes. Dans un contexte où les réseaux sociaux jouent un rôle crucial, où la transparence et l’interaction continue avec les parties prenantes sont essentielles, les porteurs de projets doivent adopter une stratégie bien définie. Comme ont pu l’illustrer les intervenants au cours de cette scène ouverte, convaincre l’opinion nécessite une présence affirmée, des démonstrations claires et une préparation exhaustive basée sur des informations vérifiées.